Cathédrale de Tournai

Date de publication :10 mai 2021
By secretaire

Dédicace de 850 ans

9 mai 2021

Homélie par Guy Harpigny, Evêque de Tournai

Célébrer les 850 ans de la consécration d’un lieu de culte catholique, c’est, pour les chrétiens, faire référence à beaucoup d’événements de la Bible. En effet, durant des siècles, la tradition juive a évoqué la présence de Dieu au milieu de son peuple.

Quand Dieu appelle Abraham à quitter son lieu natal pour aller vers une terre promise, Dieu n’a pas, en dehors des cieux, de lieu où résider. La tradition dira qu’il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

Lorsque Moïse est réfugié au désert, parce que les Egyptiens se sont rendu compte qu’il avait sauvé des Hébreux au détriment d’Egyptiens, Dieu se manifeste à lui au buisson ardent : N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.

Lorsque Moïse parvient à libérer les Hébreux de l’Egypte, Dieu se manifeste le jour comme une colonne de nuée et la nuit comme une colonne de feu. Il appelle Moïse à venir le rencontrer sur la montagne du Sinaï. Dieu est quelqu’un que l’on écoute. Dieu parle à son peuple, il lui donne sa parole. Ce n’est pas un lieu, un espace qui a de l’importance. C’est la parole de Dieu qui se manifeste à quelqu’un, à une assemblée.

Au désert du Sinaï, Dieu demande à Moïse de lui construire une demeure, une tente, la tente de la rencontre, afin d’y déposer l’arche d’alliance, un coffret qui contient le code de l’alliance, les dix Paroles gravées sur de la pierre, les dix commandements qui sont le signe d’une alliance de Dieu avec son peuple.

Durant des siècles, c’est l’arche d’alliance qui est le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Lorsque David envisage de faire construire un temple à Jérusalem pour y déposer l’arche d’alliance, Dieu fait dire par le prophète Nathan que ce n’est pas David qui construira le temple, mais bien son fils Salomon. En effet, Dieu n’a pas besoin de temple pour résider sur la terre ; en fait, c’est Dieu qui va construire une maison pour David, une descendance d’où sortira quelqu’un que Dieu appellera son fils.

Lorsque Salomon a construit le temple à Jérusalem et y a déposé l’arche d’alliance, une nuée remplit le temple, la maison du Seigneur. Alors Salomon s’écrie : Le Seigneur déclare demeurer dans la nuée obscure. Et maintenant, je t’ai construit Seigneur, une maison somptueuse, un lieu où tu habiteras éternellement.

En fait, cette maison, ce temple sera détruit par Nabuchodonosor au début du VIème siècle avant notre ère. Le peuple juif, exilé à Babylone, n’aura plus de lieu où Dieu fait sa demeure. C’est un très grand changement de perspective religieuse. Seule subsiste la Parole de Dieu. Les prophètes de l’époque veillent à ce que les Juifs vivent leurs grandes convictions dans le cœur. La liturgie devient une affaire de famille ; elle ne se fait plus dans un temple.

Lorsque Jésus vient, la Parole de Dieu qui devient chair, un être humain né de la Vierge Marie à Bethléem, la tradition chrétienne dit que Dieu vient visiter son peuple. Désormais, ce n’est plus le temple de Jérusalem qui est la demeure où Dieu réside, mais c’est en Jésus, Fils de Dieu, que nous découvrons le sanctuaire où Dieu vient faire sa demeure. A l’approche de la Pâque juive, Jésus chasse les vendeurs du temple de Jérusalem. Les Juifs lui demandent : Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? Jésus répond : Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. Le rédacteur de l’évangile de Jean ajoute : Jésus parlait du sanctuaire de son corps. De fait, le mystère de la Pâque de Jésus est de mourir, crucifié sur une croix, être enseveli et ressusciter le premier jour de la semaine. Le temple de Jérusalem disparaîtra vers 70 de notre ère. Pour les chrétiens, c’est désormais dans le Christ, mort et ressuscité, que Dieu fait sa demeure. C’est en Jésus que nous entrons dans la présence de Dieu.

Tout ceci est explicité par le Nouveau Testament. Ce sont les disciples de Jésus qui deviennent des pierres vivantes, un temple spirituel, qui font de leur vie une offrande à Dieu. L’apôtre Pierre l’écrit dans sa première lettre : Approchez-vous du Christ : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. C’est donc l’assemblée des disciples du Christ, mort et ressuscité, qui est la demeure de Dieu au milieu des nations, en ce monde.

En ce monde, et pas dans le monde à venir. En effet, l’Apocalypse, le dernier livre de la Bible conclut la vision du prophète Jean qu’il a sur l’île de Patmos : J’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu (…). Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine ; son luminaire, c’est l’Agneau.

Il est par conséquent aisé de comprendre que les lieux où les chrétiens se rassemblent pour écouter la Parole de Dieu, pour participer à la table de l’Agneau de Dieu, ne sont que provisoires. Ils sont de monde. Dans le monde à venir, il n’y aura plus de lieux où Dieu vient faire sa demeure. C’est Dieu lui-même qui demeurera avec les hommes ; les lieux de culte n’existeront plus.

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C’est dans cet esprit que nous célébrons aujourd’hui les 850 ans de la consécration de la cathédrale de Tournai. Un lieu de culte, où l’assemblée des disciples du Christ vient écouter la Parole de Dieu et participer au repas du Seigneur, l’Agneau de Dieu, le Christ mort et ressuscité ; un lieu où l’assemblée des disciples du Christ se laisse imprégner par l’Esprit Saint pour devenir un temple spirituel, des pierres vivantes dont le Christ est la pierre angulaire.

Dans ce temple de pierres, nous pouvons faire plusieurs types d’expériences.

Le premier type d’expérience, c’est d’être en admiration devant les multiples générations d’êtres humains qui, en ce lieu, ont construit plusieurs églises depuis la fin du Vème siècle de notre ère. Ces êtres humains, des membres de l’Eglise pour la plupart, ont, génération après génération, construit, reconstruit, en raison d’incendies, de destructions, pour correspondre au développement des sciences de l’architecture, des évolutions culturelles et des trouvailles techniques de leur temps. Dans cet édifice, chaque étape de la construction a laissé des traces. Merci aux archéologues et aux historiens de nous livrer leurs découvertes. Cela nous rend tous plus humains. Nous touchons du doigt la beauté de toute forme de société et le génie de beaucoup de ceux qui nous précèdent.

Le deuxième type d’expérience est le sentiment d’éternité. Comment se fait-il que, jusqu’à présent, aucun obstacle n’a réussi à effacer cet édifice ? Même aux heures les plus noires de l’histoire de cette région d’Europe du Nord, la Cathédrale a tenu bon. Des iconoclastes ont cassé en 1566 ; les Tournaisiens ont réparé, reconstruit. Des citoyens persuadés qu’il fallait effacer les traces de l’ancien régime ont cherché à vendre l’édifice pour lui donner un autre avenir à la fin du XVIIIème siècle ; le concordat de 1801, entre Napoléon Bonaparte et le Pape Pie VII, a ouvert une restauration de fond en comble ; elle a duré pendant soixante ans. Une tornade en 1999 a failli ébranler l’ensemble de l’édifice. Immédiatement, des efforts extraordinaires ont été mis en forme de décrets en vue d’une restauration digne du XXIème siècle. Alors que, durant des siècles, ce sont surtout des institutions ecclésiastiques qui ont veillé à l’entretien de la Cathédrale, c’est désormais à la Province de Hainaut que revient cette mission. Devant cette évolution depuis la fin du XVIIIème siècle, de la législation du début du XIXème siècle, des lois de l’Etat belge depuis 1831 jusqu’à nos jours, nous prenons acte des diverses décisions prises dans un Etat désormais fédéral. Nous ne pouvons que nous en réjouir. En effet, il est vrai que cet édifice restera Cathédrale, un lieu de culte catholique, tant qu’il y aura une assemblée de chrétiens catholiques dans la Province de Hainaut, et tant que le Saint-Siège désignera un évêque de Tournai. Jusqu’à présent, il existe une assemblée de chrétiens catholiques dans la province de Hainaut. Jusqu’à présent, il y a un évêque de Tournai. En même temps, nous savons bien que l’assemblée des catholiques du Hainaut et l’évêque de Tournai n’ont pas les ressources nécessaires pour entretenir la Cathédrale. C’est pourquoi, au nom des catholiques du Hainaut et en mon nom propre, je remercie tous ceux, toutes celles qui, au nom des pouvoirs publics concernés par la Cathédrale veillent à son entretien, à sa restauration et à sa signification dans le patrimoine de la société civile : la Ville de Tournai, la Province de Hainaut, la Région Wallonne.

Le troisième type d’expérience, c’est de poser un acte de foi, qui se manifeste dans la liturgie, le culte. Tant qu’il y aura des catholiques en Hainaut, la Cathédrale restera un lieu de culte. Et, dans cet esprit, tout aménagement liturgique aura sa place. En effet, au fur et à mesure des siècles, il y a eu dans ce lieu des ajouts, des modifications, qui ont correspondu à la liturgie du temps, aux avancées patrimoniales du temps : le roman, le gothique, l’ambon de la Renaissance, les œuvres d’art, les ajouts du XIXème siècle dans le chœur gothique. Il est normal qu’au XXIème siècle, toutes les institutions impliquées se concertent pour avancer dans un aménagement liturgique qui correspond à la liturgie initiée par le concile Vatican II. Ici, la fabrique de l’église cathédrale, le chapitre cathédral, les institutions chargées du patrimoine ont un rôle à jouer. Merci en tout cas pour tout ce qui a été réalisé au plan liturgique depuis des années, par l’équipe liturgique, les organistes et la maîtrise.

Le quatrième type d’expérience, c’est l’accueil des enfants, des jeunes, des adultes qui demandent de devenir chrétiens. En termes techniques, on appelle cette démarche l’initiation chrétienne sacramentelle. Elle est manifestée par le baptême, la confirmation et l’eucharistie, les trois sacrements qui ont tout leur sens lors de la veillée pascale. Récemment, grâce à Notele, nous avons pu voir l’immersion de deux adultes dans le baptistère provisoire de la Cathédrale. Plongés dans la mort avec le Christ, les nouveaux chrétiens sortent vivants, ressuscités en proclamant « amen », oui, je crois en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint. Durant les premiers siècles de l’ère chrétienne, c’est de cette manière que l’évêque, et lui seul, baptisait les chrétiens dans son église, la Cathédrale. Je pense que nous sommes prêts à entrer davantage sur le chemin nouveau de l’initiation chrétienne telle que le prévoit le concile Vatican II.

Le cinquième type d’expérience, c’est l’attention renouvelée au patrimoine. Depuis quelques décennies, en Europe du Nord, nous aimons bien connaître nos racines. Pas seulement l’arbre généalogique de nos parents, mais aussi les lieux géographiques qui nous ont formés, les éléments culturels qui nous ont été transmis, le patrimoine architectural qui nous est confié. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution. Des budgets colossaux ont été programmés dans ce sens, dans beaucoup de domaines de la vie sociale, culturelle et économique. Ici encore, avec tous les citoyens de notre pays, des entités fédérées, de la Région Wallonne, de la Province de Hainaut et de la Ville de Tournai, je remercie tout ce qui a été mis en route au plan patrimonial dans la Cathédrale. Avec tous ceux qui seront concernés, je veillerai à ce que nous mettions en route une procédure pour mettre davantage le trésor de la Cathédrale en valeur. Je suis certain que nous parviendrons à trouver un terrain d’entente qui respecte les objectifs fondamentaux de chaque institution. Dans ce domaine, souvenons-nous des archives de la Cathédrale, qui contiennent des manuscrits, des imprimés depuis de nombreux siècles. Des chercheurs du monde entier viennent les consulter.

Le sixième type d’expérience, c’est le rayonnement culturel de cet édifice. Avec le temps, la Cathédrale a bénéficié d’un rayonnement culturel lié à son architecture, à sa signification dans la société, aux initiatives successives prises pendant des siècles que ce soit dans l’enseignement, la solidarité avec les pauvres, l’accompagnement de personnes accablées par la souffrance. Les temps ont changé. La culture demeure. Depuis des années, la Cathédrale a accueilli des événements culturels de grande qualité. Ils ont été organisés par des institutions liées à la Cathédrale et par des institutions qui ont estimé, à juste titre, que la Cathédrale était un écrin exceptionnel pour ouvrir ces événements à un public très large. Vous connaissez mon opinion sur ce point et la justification de cette opinion. Dans la mesure où les pouvoirs publics financent, en très grande partie, l’entretien et la restauration de la Cathédrale, il va de soi que la Cathédrale accueille des événements culturels destinés à de larges publics, quelles que soient les convictions des membres de ce public. Ici aussi, je suis certain que tout se fera dans une excellente concertation.

Le septième type d’expérience, c’est l’accueil des touristes. Grâce à l’évolution des mentalités, au développement économique, à la croissance de richesses, beaucoup d’êtres humains ont la possibilité de voyager, de faire du tourisme, de visiter des lieux sacrés, des œuvres d’art, des lieux qui font partie du patrimoine exceptionnel de l’humanité. La Cathédrale fait partie de ces lieux. Tous, nous sommes fiers que la Cathédrale a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO à la fin de l’an 2000. Raison de plus pour inventer des perspectives pour attirer les touristes. Et les accueillir en les initiant, par des moyens qui ont considérablement gagné en efficacité grâce à la digitalisation, en les initiant à des pans entiers de notre histoire, de l’histoire de la « maison commune » de l’humanité. 

Le huitième type d’expérience, c’est la prière auprès de la Vierge Marie, Notre Dame des Malades. Depuis des siècles, l’humanité a été atteinte d’épidémies de toutes sortes. Depuis des siècles, des personnes, des familles ont été accablées par des malheurs de toutes sortes. Depuis des siècles, des chrétiens et des non chrétiens viennent prier devant la représentation de Marie, la Mère de Jésus, sous le vocable de Notre Dame des Malades. Prier Marie, prier avec Marie, c’est une tradition qui nous vient des apôtres. Il est tout à fait indiqué que dans l’église de l’évêque, successeur des apôtres, la Cathédrale, Marie ait une place d’honneur. Sur la croix, Jésus a confié sa mère au disciple bien-aimé, qui nous représente tous. Jésus nous a confié sa mère. Avec le disciple bien-aimé, nous la prenons chez nous. Elle a sa place dans la Cathédrale, qui, depuis des siècles, est dédiée à Notre-Dame. En ce deuxième dimanche de mai, la fête des mères, Bonne Fête Notre Dame des Malades.

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Tout à l’heure, les évêques Baudouin Ier et Radbod II, qui ont été découverts pendant les fouilles rejoindront, à un autre endroit, une demeure en ce lieu. Radbod II nous a laissé la grande procession de Tournai, initiée au moment où une épidémie faisait des ravages à Tournai, en 1092. Soyons assurés que, du haut du ciel, il continue à veiller sur nous.

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